Evénement – 48 heures après l’annonce de sa mise en retrait de l’équipe de France, la capitaine Wendie Renard se livre pour la première fois sur les raisons de son choix à RMC Sport. Un entretien de plus d’une demi-heure où aucun sujet ne sera éludé, et pendant lequel la défenseure aux 142 sélections est animée d’une conviction forte: faire avancer le football féminin français.

Wendie Renard, qu’est-ce qui vous a poussé à prendre cette décision de vous mettre en retrait de l’équipe de France?

C’est une décision qui trottait dans ma tête depuis un moment, même après l’Euro. Aux vues des matchs, de la situation, des réunions que j’ai pues faire avec la coach, j’ai pris cette décision d’arrêter. On m’a toujours dit dans la vie le plus gêné s’en va, j’étais gênée de cette situation. J’essaie de faire changer certaines choses pour que l’on puisse être performante individuellement et collectivement, et cela a du mal à comprendre mon message. Je n’ai pas envie de me prendre la tête à mon âge, j’ai assez d’expérience. J’ai donc décidé d’écrire ce message et de le faire avec mon cœur. J’ai reçu un nombre important de messages de soutien, où on me dit que c’est courageux. Mais pour moi ce n’est même pas courageux, c’est juste que c’est une accumulation de choses aujourd’hui. Continuer dans de telles conditions, ce n’est pas possible.

« Quand on a ce maillot, on a des droits et aussi beaucoup de devoirs »

Quand vous dites « essayer de changer les choses », à quoi faites-vous allusion?

On a eu des échanges avec la coach, encore lors du dernier rassemblement. Après je l’ai toujours dit, c’est elle la boss ce n’est pas moi. Je ne cherche pas à être coach, je cherche juste à performer, à emmener ce maillot bleu où il mérite d’être, c’est-à-dire au plus haut niveau avec les joueuses et les qualités que nous avons. Je pense que l’on doit être capable de faire beaucoup mieux, c’est mon point de vue. Après qu’il soit partagé ou pas, c’est une autre histoire. Quand on est en équipe de France, on se doit d’atteindre le très haut niveau. Le très haut niveau, c’est quand tu affrontes des joueuses de classe mondiale. Dans tout ce que tu fais, tu dois amener de l’exigence, dans tout ce que tu fais tu dois être performante. Je ne suis pas parfaite, je fais des erreurs, sur le terrain et même en dehors. Quand on a ce maillot, on a des droits et on a aussi beaucoup de devoirs individuellement, il y a beaucoup de choses à changer c’est mon devoir de le dire, il faut le comprendre. Je ne suis pas contre mais je suis avec, pour changer.  

Dans votre communiqué, vous avancez que vous ne pouvez plus « cautionner un système bien loin des exigences requises par le haut niveau »: quel est le système mis en place au sein de l’équipe de France?  

Quand on parle de haut niveau, les gens qui font du sport professionnel savent de quoi je parle. Pour le grand public, c’est peut-être plus compliqué à comprendre. Il faut le vivre. Cela fait quelques années que la coach et le staff sont là, et qu’on essaie de faire avancer les choses. Le système c’est tout simplement être professionnel. Mais c’est même un ras le bol général, par rapport à la Division 1, cela fait des années que l’on réclame des choses. Il faut faire avancer tout ça. Dans nos clubs quand on discute avec les coéquipières étrangères, oui elles ont parfois des problèmes dans leur sélection ou avec leur fédération, mais j’ai l’impression que pour nous femmes et sportives de haut niveau, c’est compliqué. On doit toujours, toujours se battre, quitte à arriver à des situations individuelles compliquées. Aujourd’hui, c’est personnel. Je n’y arrive plus. Je n’arrive pas à faire semblant.

Ce maillot je l’aime, et parce que je l’aime, j’ai pris cette décision qui fait mal personnellement. Mais qui je l‘espère aidera dans le présent et dans le futur à prendre des bonnes décisions pour que l’on mette ce maillot où il mérite d’être. Que j’y retourne ou pas à la limite je m’en fous. Le problème est que ce maillot de l’équipe de France, à partir du moment où on le porte, je dois le respecter, et je l’ai toujours respecté, je l’ai toujours défendu. Mais on se doit, individuellement et collectivement, la Fédération aussi, de le mettre là où il le mérite. Selon moi il y a des décisions qui sont prises… On a loupé un virage après la Coupe du monde 2019, il y a un élan qui est cassé. Après, à Angers, c’était super pendant le Tournoi, et je remercie le public d’Angers. Mais d’une manière générale en club, on a du mal. Quand tu vois que Barcelone remplit son stade de 90.000 personnes, qu’en Angleterre cela prend… tu avais de l’avance sur ces pays-là. Je mange, je dors, je bouffe foot. Je me dis: comment se fait-il que l’on avait de l’avance et qu’aujourd’hui on a du retard, c’est qu’on a loupé quelque chose! C’est d’une manière générale, on se doit de passer à la vitesse supérieure si on veut gagner un titre avec l’équipe de France. 

Quand avez-vous pris la décision?

Pour être honnête… 2023, je ne voulais plus aller en équipe de France. Cela me trottait dans la tête depuis un moment. J’avais demandé un entretien à la coach pour pouvoir échanger et discuter. Mais cela a un peu tardé. Avant le tirage de la Coupe du monde, elle m’a appelé, on a échangé sur le fait de pouvoir se voir en dehors du cadre de l’équipe de France pour pouvoir échanger sur pleins de sujets pour pouvoir faire avancer les choses. Malheureusement cela a pris un peu de temps à se caler. Finalement ce rendez-vous a eu lieu lors du dernier stage. Je voulais avoir ce dernier échange avec la coach avant d’annoncer ma décision. Cela fait un moment que ma décision était prise à 80%. Il y a un toujours un petit pourcentage où tu hésites, et tu espères que cela va changer. Je donnerai tout jusqu’à ma mort pour ce maillot. Tu perds beaucoup, beaucoup d’énergie sur des choses futiles, qui sont pourtant claires dans ma tête, mais peut-être pas pour tout le monde car on ne pense pas tous de la même façon, fort heureusement.

Ce dernier entretien a été déclencheur?

Avant ce stage, je savais que ça allait être le dernier, qu’il fallait que je profite de ce maillot, des coéquipières. Je pense avoir bien fait les choses. J’ai parlé de cette décision d’abord à mon président Jean-Michel Aulas, et il m’a dit d’en discuter avec le président de la FFF. Le président Diallo m’a reçue. Avant de le voir, j’ai appelé le président Le Graët pour lui dire que j’allais m’entretenir avec le président Diallo, et que j’allais prendre du recul avec l’équipe de France. Ensuite j’ai vu la coach, que je devais voir avant le président Diallo, mais le rendez-vous a été annulé. On s’est donc vu en équipe de France, on a discuté des changements, mais je n’ai pas souhaité l’informer que j’allais arrêter car je voulais tout simplement bien finir mon stage.  

De manière globale, la Fédération ne met pas les moyens pour l’équipe de France?  

On est bien loti sur ce domaine. Je parle purement sportif et qualité pour pouvoir évoluer. Les sportifs de haut niveau comprendront de quoi je parle, je ne peux pas donner plus de détails que ça aujourd’hui. Des éléments vont parler à certains et pas à d’autres. Notre quotidien c’est le terrain ; la performance, la compétence, travailler pour s’améliorer, construire quelque chose ensemble. J’ai toujours privilégié le collectif dans ma carrière car on fait un sport collectif sinon j’aurai fait un sport individuel. Cela ne veut pas dire que l’on va forcément gagner, mais il faut au moins réussir à mettre tout de notre côté pour se donner les moyens. Même avec les clubs c’est compliqué. Mon message est clair. Il y a des choses à faire au plus haut niveau, et je pense que l’on est en train de passer à côté de certaines choses. Il faut à un moment donné que l’on passe à la vitesse supérieure, je ne peux plus cautionner ça personnellement.  

Le staff n’est pas à la hauteur?

Ce n’est pas à moi de dire ce genre de choses, ce n’est pas de mon ressort. C’est à la direction de la Fédération de prendre ses responsabilités. Je les ai prises aujourd’hui en tant que joueuse. On est un groupe, peut-être que toutes les filles ne partageront pas mon avis, mais moi personnellement, quand on veut atteindre le haut niveau, on se doit de mettre les exigences qu’il faut, et on travaille en conséquence pour. Je dis juste que tout le monde doit prendre ses responsabilités. Moi j’ai dit que je ne pouvais plus cautionner. S’ils ont envie d’entendre mon message, tant mieux. Je dis juste que ne peux plus, je pense que cela se respecte.  

Vous évoquiez vos entretiens avec Jean-Michel Aulas, Noël Le Graët, Philippe Diallo: avez-vous reçu leur soutien?  

Je ne rentrerai pas dans le détail de nos échanges. Ma démarche était de les avertir de ma situation personnelle qui était d’arrêter, et le pourquoi du comment. Même s’ils ne le comprenaient pas, en tout cas pour le Président Diallo, ils m’ont soutenu. Sur le terrain à Angers, il arrive et il me dit « j’espère que ce n’est pas le dernier », « président je vous avais prévenu que c’est mon dernier match ». J’ai senti beaucoup d’écoute, et de l’incompréhension par rapport au fait que moi j’arrête.  

« Vous croyez qu’elles s’entrainent comment les Américaines? En 2019, certaines joueuses ne pouvaient pas se voir et pourtant elles sont championnes du monde! »

Que répondez-vous aux personnes qui disent que c’est un pustch?

Les gens disent ce qu’ils ont envie, mais ils ne vivent pas la situation. J’entends aussi « vous jouez au foot, vous êtes en équipe de France… », oui d’accord. Mais quand tu as ce coq sur le cœur et à partir du moment où tu t’impliques dans une relation il y a de la souffrance quand tu es déçue. C’est vrai pour tout dans la vie : le travail, les relations humaines. Je ne veux convaincre personne, je suis assez convaincue personnellement que je ne pouvais plus. Aujourd’hui je n’ai plus 20 ans, j’arrive à un âge où j’ai besoin d’être bien pour continuer à performer comme je le souhaite. Tu peux essayer de cacher des choses, mais ton corps répond pour toi. Et tu peux enchaîner des blessures, là ils vont dire « elle a 32 ans, elle est vieille, elle peut partir à la retraite », non ce n’est pas ça le problème.  

Le management au sein de l’équipe de France pose-t-il encore problème?  

Le management est un mot simple mais cela englobe beaucoup de choses. Sur ce point, je reconnais que la coach a fait des efforts sur certaines choses. Mais aujourd’hui, on se doit sportivement, j’insiste sur le mot « sportif », on se doit de passer à autre chose, monter le curseur d’exigence, de tout, pour pouvoir performer et espérer gagner un titre. Quand vous voyez les Américaines s’entrainer vous croyez qu’elles s’entrainent comment? Et pourtant il y a des problèmes dans l’équipe. Quand elles gagnent le Mondial en 2019, des joueuses ne se parlaient pas. Des joueuses qui ne peuvent pas se voir, qui ont eu des désaccords avec la coach et pourtant elles ont gagné. Dans un échange, ce n’est pas oui à tout et non à tout. Je demande à comprendre. Après je me trompe peut-être, et si cela se trouve, c’est moi le problème et j’ai décidé de dire stop.

Vous prenez un risque de peut-être ne plus jamais porter le maillot de l’équipe de France?

J’en ai conscience et ce n’est pas grave. Mais peut-être que ma démarche aura servi à faire avancer les choses, ou pas. J’ai porté ce maillot à 142 reprises, j’en suis fière, j’ai rencontré de merveilleuses personnes en sélection, que cela soit des membres du staff ou des coéquipières. C’est la vie, c’est comme ça. Dieu seul lui sait de quoi demain sera fait, et même lui ne faisait pas l’unanimité. Aujourd’hui je suis en paix intérieurement, même si cela fait mal d’avoir arrêté. Mais je suis en paix. 

Qu’est-ce qui pourrait vous faire revenir sur votre décision?

On verra mais pour l’instant, la question ne se pose pas, c’est un peu tôt. Mon communiqué est clair. Aujourd’hui, j’arrête, c’est clair, net, je prends du recul parce que j’en ai besoin mentalement, pour continuer à performer et atteindre les objectifs avec mon club.  

Mardi, le comité exécutif de la Fédération va aborder le sujet de l’équipe de France et votre mise en retrait, ainsi que celles de Kadidiatou Diani et Marie-Antoinette Katoto. Quel message souhaitez-vous adresser à vos dirigeants?

Ils ont le pouvoir, ce n’est pas moi qui l’ai. Nous sommes tous responsables : équipe de France, staff, joueuses, la Fédération. Nous sommes tous responsables. Nous sommes des joueuses, on s’implique pour ce maillot au quotidien, comme le staff s’implique au quotidien. Mais aujourd’hui la question que j’ai envie de leur poser: « où se situe votre niveau d’exigence? ». A partir de là, on met ou pas des choses en place. Ce n’est pas mon devoir de le dire. C’est à eux de prendre des décisions, et de continuer à les prendre.  



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