ENQUÊTE RMC SPORT (Episode 2/2) – Encore une fois, un classique de Ligue 1 entre l’OM et le PSG se déroulera dans un stade plein sans supporters adverse. Comme depuis 2015, les fans parisiens sont interdits d’accès à Marseille par un arrêté du ministère de l’Intérieur. Ce match n’est pas une exception, les arrêtés émis par les Préfectures se multiplient en France. A un an des Jeux olympiques en France, la gestion des supporters sur le territoire inquiète. Notre épisode 2 est consacré à la gestion des déplacements par les Préfectures.
Pour l’ensemble des matchs organisés en France, la Préfecture du stade concerné a son mot à dire dans l’accueil des supporters visiteurs. En 2019, une circulaire du ministère de l’Intérieur incitait les responsables de cette administration à baisser le nombre d’arrêtés pris autour des rencontres de football en France, et surtout elle invitait les responsables à revoir le dialogue avec les supporters.
Quelques années plus tard, le constat est implacable. Les Préfectures publient des arrêtés chaque week-end, en grand nombre. Ça augmente dans l’anonymat le plus complet. En face, l’Association Nationale des Supporters essaye de mettre en place un dialogue. Sauf que l’ANS fait face à la grande muette de l’administration française.
La circulaire de 2019 jamais respectée
C’était une circulaire importante, qui devait faire baisser le nombre de matchs sans supporters visiteurs. « Le nombre d’arrêtés préfectoraux est en hausse sur la saison écoulée (2018/2019) et reste élevé en ce début de saison, c’est une réalité que je ne conteste pas, avait expliqué à l’époque Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, à la sortie de l’Instance nationale du supportérisme, au ministère des Sports. C’est souvent lié à des matchs à risque et au fait que les forces de l’ordre ne soient pas disponibles pour encadrer un déplacement de supporters. J’ai pu constater que les mesures n’étaient pas toujours comprises. Nous avons convenu de prévoir avant chaque match sensible ou à risque des réunions de préparation au minimum trois semaines avant la rencontre. » En clair, cette circulaire du ministère de l’Intérieur stipulait aux préfets de limiter les interdictions de déplacements. Quatre ans plus tard, la situation s’est lourdement dégradée. Les arrêtés fleurissent tous les week-ends et les supporters ne s’y retrouvent plus du tout.
“La circulaire du ministère de l’Intérieur de novembre 2019 était très claire, puisqu’elle invitait les préfectures à limiter les mesures de police administrative, explique Me Baptist Agostini-Croce, avocat au barreau de Paris et auteur du «Guide juridique à l’usage du supporter». Or, cette circulaire n’a rien changé, on a des arrêtés presque toutes les semaines. Cette multiplicité des arrêtés leur fait perdre en légitimité, ce qui fait que certains supporters ne les respectent pas. Au-delà du droit, c’est aussi sur leurs conséquences sécuritaires que ces méthodes doivent poser question”.
La saison dernière, plus de 130 arrêtés d’interdiction de déplacement ont été pris par les Préfectures en France, selon un décompte de l’ANS. Au début de cet exercice, l’association avait annoncé dans un courrier son envie de voir une coopération entre les acteurs « afin d’organiser les déplacements dans de bonnes conditions ». Sauf, qu’avec les Préfectures le dialogue est « inexistant », admettent les responsables de l’organisation. Enfin, un autre élément inquiète de plus en plus les parties prenantes de ce dossier, les interpellations de supporters, autour des matchs de football en France, en forte hausse cette saison par rapport au précédent exercice.
La répression collective est forte en France depuis la fin de l’épisode COVID, avec des capacités d’accueil limitées. La circulaire n’a jamais vraiment eu le temps de vivre. Les incidents dans les stades au début de la saison 2021 n’aident pas, et les Préfets gardent souvent ces événements comme point de comparaison. Au final, les préfets de région réalisent “de la prévention des risques à outrance”, explique Kilian Valentin.
Un vrai problème pour la discussion ?
Pour inverser cette tendance, l’ANS mise sur plusieurs points. « On va faire encore plus de travail de dialogue, de prévention, de pédagogie auprès des préfectures que ce soit en tant qu’association nationale des supporters ou alors avec les groupes de supporters plus localement, poursuit Kilian Valentin, porte-parole de l’ANS. On peut le voir à Lens où régulièrement les groupes envoient des courriers, ils écrivent aux préfectures, qui s’en saisissent un petit peu. Saint-Étienne a aussi réalisé pas mal de démarche en début de saison. »
Les supporters réalisent ces tâches de manière bénévole, ça prend du temps, et la récompense n’est pas toujours au rendez-vous. « C’est de pire en pire. Les Préfectures justifient leurs arrêtés avec des éléments qui n’ont aucun lien et aucun rapport avec la sécurité publique, estime le porte-parole de l’ANS. Dernièrement, une Préfecture a justifié un arrêté avec des éléments sportifs. L’arrêté explique que comme l’équipe joue le haut de tableau actuellement et que l’autre équipe joue le milieu, fin de tableau, ça peut amener des tensions en tribune. Oui c’est le football ! »
L’ANS essaye aussi de « dédramatiser les situations » auprès des Préfectures. Une tentative d’explication où la DNLH doit aussi jouer son rôle d’information auprès des hauts fonctionnaires. Après les événements du stade de France, l’année dernière, la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, avait relancé l’Instance nationale du supportérisme. Des rencontres sont organisées et les différents interlocuteurs rencontrés estiment que la Ministre est beaucoup plus « à l’écoute ». Du côté de la Ligue de Football Professionnelle, le dialogue s’est aussi amélioré, même si son poids reste encore faible face aux autorités. Les interlocuteurs admettent une LFP « plus constructive » depuis quelques mois. Ces personnes font bien la différence entre la direction de la Ligue et la commission de discipline de l’instance, qui n’a pas beaucoup évoluée dans les sanctions collectives.
L’accumulation des arrêtés réside principalement dans la crainte des Préfets autour des rencontres de football. Lors des discussions, certains confondent même des Ultras avec des hooligans, des clubs avec un autre. La connaissance n’est pas là. Un responsable de sécurité d’un club de Ligue 1 admet « parler chaque semaine avec un mur » qui n’a souvent « aucune connaissance du terrain, des supporters et du sport. » D’après nos informations, plusieurs clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 s’étonnent aussi que certaines réunions de sécurité en amont des rencontres ne soient pas organisées avec l’ensemble des représentants de supporters. « Si on se donne les moyens, ça peut bien se passer, admet Kilian Valentin. Depuis le début de la saison ça se passe très bien en général mais les arrêtés sont trop nombreux et une trop large majorité de Préfectures ne veulent pas se soucier de la situation. »
« J’espère que dans le futur, on comprendra que c’est le dialogue qui permettra d’apaiser la situation, complète Me Agostini-Croce. La coopération entre les différentes composantes. Il y a parfois des signes d’avancées, comme le déplacement des Lyonnais au Vélodrome il y a quelques mois, bien que celui-ci fut très contraignant pour les supporters qui ont été autorisés à se déplacer. En outre, l’instance nationale du supporterisme s’est réunie en octobre dans un format plus élargi qui comprend davantage d’associations de supporters. C’est un organisme important dont le travail est représentatif de cette nécessaire approche collective. On ne le dira jamais assez : ce n’est pas la prévention à outrance ou la répression excessive qui fonctionne, c’est le dialogue. »
« Des arrêtés écrits avec les pieds »
Pour la première fois, un haut fonctionnaire d’une Préfecture française, sous couvert d’anonymat, a expliqué à RMC SPORT ce qu’il considère comme une « absurdité » dans la gestion des supporters en France. « Je ne veux pas contester l’arrêté du ministère de l’Intérieur concernant le match entre Marseille et Paris, commente ce fonctionnaire. Celui-là est peut-être le seul de la saison qui peut tenir la route concernant les motivations. En revanche, et pourtant je réalise et je suis aussi dans ce panier, les arrêtés qui concernent l’ensemble des autres matchs sont tous écrits avec les pieds. Les motivations sont complètement absurdes pour la plupart. Les associations de supporters ont raison de râler, ça ne veut plus rien dire ! »
« Souvent, quand on doit motiver nos arrêtés on peut prendre une petite broutille entre les deux équipes pour justifier une interdiction de déplacement, poursuit-il. Et avec un simple bout de papier, tu peux priver une centaine de supporters de déplacement. Résultat, la Préfecture s’évite des ennuis d’ordres publics sur une soirée tout en sachant que les conséquences d’une procédure judiciaire prendront plusieurs semaines. De la répression préventive alors que la plupart des supporters veut juste prendre du plaisir ». « Et ça va encore plus loin dans certains cas en France, on interdit même les gens de porter des maillots de foot de certains clubs, sourit un policier de la DNLH. On ne pourrait pas se mettre autour d’une table et trouver une solution, ça ne peut pas continuer comme ça. »
Des arrêtés publiés au dernier moment
De trois arrêtés sur la saison 2011-2012 à 218 en 2015-2016 avec l’état d’urgence, le graphique des publications officielles connait chaque saison une variation assez importante. Depuis plusieurs années, nous assistons à une banalisation de ces arrêtés. L’arrêté préfectoral pullule alors que l’arrêté ministériel ne représente plus une mesure « grave et exceptionnelle ». Que ça soit pour un classique classé à très haut risque ou un match entre deux équipes de Ligue 2, les Préfectures invoquent souvent comme excuses la mobilisation des forces de l’ordre pour d’autres événements dans la région. Vérifier cette information est pratiquement impossible pour un groupe de supporters.
Pour suspendre un arrêté préfectoral, il faut s’armer de patience et saisir le juge administratif dans le cadre d’un référé liberté. Dans les colonnes du quotidien Libération, l’avocat Pierre Barthélémy, avait expliqué le processus qui va dans le sens des explications du haut fonctionnaire : « Nous mettons en avant le fait que les antécédents invoqués entre les deux équipes sont bidons, anciens, non pertinents, qu’aucun dialogue n’a été amorcé avant la prise de l’arrêté ou que contrairement à ce qu’indique la préfecture, il y a assez de forces de l’ordre disponibles. » La décision sur le fond est ensuite connue plusieurs mois après le match visé par l’interdiction de déplacement. Au final, même si des arrêtés sont attaqués devant la justice, les Préfets sortent gagnants dans le timing de ce combat administratif.
« On peut penser que les mesures de police administrative étant à titre préventif, il n’y a pas de conséquence: c’est faux, complète Me Agostini-Croce. Les conséquences sont lourdes notamment car ces arrêtés sont pris souvent au dernier moment, alors même que certains supporters ont débuté les déplacements, avancé des frais, etc. Un rapport des députés Houlier et Buffet fait état que plus de 75% des interdictions administratives de stade sont annulées par le juge administratif. Pour ce qui est des interdictions de déplacement, il suffit de lire les justifications qui motivent ces mesures, qui, le plus souvent, ne tiennent pas du tout. »
La DNLH, une organisation à revoir ?
« Plus on avance, plus c’est difficile de bien distinguer leur rôle », confie un responsable de sécurité d’un club de première division. « On voit encore trop cette structure comme la lutte contre le hooliganisme, explique le porte-parole de l’ANS. Mais la DLNH a évolué, ses missions ne sont plus les mêmes. Et aujourd’hui on attend ces policiers beaucoup plus dans la préparation des rencontres, dans une prévention auprès des Préfets. Afin d’organiser les rencontres de manière optimale et surtout de rassurer les Préfets quand c’est nécessaire. Il faut absolument contrer les arrêtés qui grossissent de manière exponentielle. »
La DNLH ne dispose pas de moyens exceptionnels. Mais cette cellule dispose de l’ensemble des remontées d’informations du terrain policier, les renseignements. Toujours partagée avec les parties prenantes d’une rencontre ? Pas certains. Et pourtant, la demande est là. Réformer cette division ? “Ce n’est pas encore à l’ordre du jour”, termine un agent. « Si à moins d’un an d’une Coupe du Monde de Rugby et quelques mois de Jeux Olympiques, nous n’arrivons pas à contrôler les supporters lors d’un match de Ligue 2 alors on peut rendre notre uniforme, on fonce droit dans le mur”, estime un responsable policier parisien. “Au final, peut-être que certains ont perdu la main dans la gestion des foules », complète ce membre de la DNLH. Avant des échéances importantes en 2023 et 2024, cette méthode d’interdiction des déplacements pose question au sein même des forces de l’ordre. Contactée via le ministère de l’Intérieur, la DNLH n’a pas répondu à nos sollicitations.
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